Rendez-vous avec une oeuvre: Emile Josome Hodinos, par Roxane Fuschetto, guide à la Collection de l'Art Brut

Découvrez régulièrement sous cette rubrique le coup de cœur d'un guide de la Collection de l'Art Brut.

J’ai rencontré l’œuvre d’Emile Josome Hodinos pour la première fois il y a presque dix ans, alors que j’étais étudiante et surveillante à la Collection de l’Art Brut. Ses dessins, à la rigueur graphique contrebalancée par la disproportion des corps, se sont imprimés dans mon esprit, de manière inconsciente mais durable.

Quelques années plus tard, un dimanche après-midi, au hasard de mes déambulations au Festival de la Cité, à Lausanne, je m’arrête, j’écoute le comédien Jean-Quentin Châtelain réciter. Ce sont les textes d’Emile Josome Hodinos qui sont mis en voix. L’histoire qu’ils racontent retient mon attention, puis le rythme entêtant des mots qui se répètent finit par me captiver totalement : les paroles martèlent les oreilles comme on poinçonne une surface de métal.
C’est qu’avant son internement à l’asile de Ville-Evrard en 1876, Emile Josome Hodinos était promis à une brillante carrière de graveur de médailles. On ignore si ce sont les troubles de la grande Histoire – il a n’a pas dix-huit ans lors de la Commune de Paris, période d’insurrection particulièrement violente – ou ceux, plus intimes, d’une histoire personnelle qui nous reste inconnue, qui font basculer l’existence de ce jeune homme de vingt-trois ans issu de la petite bourgeoisie parisienne.

Comme pour évoquer la rupture que représente son internement, Joseph Ernest Ménétrier, de son vrai nom, se rebaptise Emile Josome Hodinos, et se réinvente une biographie. Dans ses écrits, il mêle sans distinction des éléments de son quotidien d’aliéné, de son passé d’apprenti graveur, mais également d’une vie fantasmée où il inscrit sa nouvelle personnalité dans un temps et des lieux qu’il définit méticuleusement.

Ce qui interpelle chez Hodinos, c’est justement cette quête d’identité, et cette façon d’y accéder au travers de l’acte créateur et de sa description. Hodinos réalise des études préparatoires pour le moulage de médailles dans lesquelles il décrit en un chapelet de mots la composition qu’il exécute, en dessin, au centre de sa feuille. A cette double description, picturale et textuelle, s’ajoutent la description de l’action qu’il souhaite accomplir, avec des termes comme mouler, modeler, inventer, composer, et celle de l’acteur : Emile Josome Hodinos signe ses planches, s’identifie en tant que mouleur, modeleur, inventeur, compositeur, dessinateur, réducteur et graveur.

Tout en étant certainement conscient de l’impossibilité de mener à terme son projet – il n’y a bien entendu pas d’atelier de médailleur dans l’hôpital – Hodinos s’émancipe virtuellement de sa condition d’aliéné anonyme et désœuvré, grâce à ce martèlement descriptif et se saisit du pouvoir des mots : en se décrivant comme graveur, il affirme qu’il est alors graveur, et s’octroie la possibilité d’être, simplement.

 

Date de publication: 11.12.2017